Sensations en vrac
Comment dire...
Je passe par notre rue qui est un bidon ville de cases aux odeurs multiples, souvent pas joyeuses. Les gens sont assis sur un paréo devant leur porte et discutent. Ils me saluent souriants, parfois me demandent de l'argent, et moi je secoue la tête négativement, mon sac avec deux yaourts (une fortune) au bout du bras.
Et si ne n'étais pas passée par là, penseraient-ils maintenant qu'ils y a des gens riches qui mangent des yaourts ? Je n'aime pas être "la riche".
Je me promène sur le "Marché aux coquillages". Les cahutes sont alignées et les pots à épices, les statues, les paréos, les coquillages, les cartes, les bibelots attendent le bagage du vazaha. Chaque vendeur t'appelle, vient te chercher pour te montrer la spécificité de sa cahute... en tout point semblable aux autres. Je suis passée une première fois, me susi arrêtée sur les paréos de Clémentine. J'ai promis de revenir, 10 jours plus tard. Je suis revenue, toute fière de lui dire "Bonjour Clémentine" (car j'avais bien noté son nom dans mon carnet). Le "Bonjour Alice" que j'ai eu en écho m'a laissée bien sotte !! elle ne m'avait vu qu'une fois et voit des vazahas à longueur de journée ! Cette scène s'est répétée souvent. Ceux à qui j'avais dit mon prénom une fois s'en rappelaient systématiquement. Tu es l'étranger et tu es le bienvenu. On est heureux de te rencontrer, que tu nous parles de toi, de ton pays, de ta vie. On te raconte aussi volontiers notre vie, et on est là avec toi, droit dans tes yeux qui cherchent à comprendre comment, ailleurs, il t'est si naturel de dire "désolée, je n'ai pas la mémoire des prénoms".
Je demande au chauffeur de ma 4L taxi :
"- Pourquoi les taxis s'arrêtent toujours à la station service dès que je susi montée ?
- Ben pour la course, faut bien mettre de l'essence. Ca coûte cher l'essence, alors on ne peut pas en mettre plus. Si on a une courses, alors on met l'essence."
Alors il ouvre le capot (!), sort le tuyau et verse l'essence quelque part dans le moteur, allumé.
Capot refermé, il remplit la moitié de sa bouteille en plastique d'essence ("au cas où j'en aurais pas mis assez pour aller à l'aéroport").
C'est reparti. Dans les descentes, moteur coupé, on aura pas besoin de la bouteille de rab'.
Pour sortir de la voiture, ne pas oublier d'ôter le tendeur qui tient la portière fermée.
Je me demande si certains vazahas qui viennent ici coupent aussi le moteur de leur conscience dans les descentes. De ventripotants quinquas s'exposent, une somptueuse gamine à leur bras. A leur démarche, tu lis qu'ils se sentent forts, beaux, riches, jeunes. La terre tourne autour d'eux, eux tournent autour de jeunes filles aux petits seins bien hauts, et moi j'ai la nausée.
Quand ils rentreront chez eux, ils redeviendont M. X du 8ème gauche, la parabole sur le balcon, le bide à bieres sur les genoux. J'ai honte de venir du même pays qu'eux ! comment oserait-il s'exhiber avec une gamine de 16 ans en France ! J'ai honte du "Bonjour" qu'il m'adresse ce gros con ! Je grogne un "Akoré" et passe mon chemin en regardant mes pieds.